Ça faisait quelques mois que je double-tapais sur les photos de plantes, de fleurs, d’insectes et d’animaux que Marc Sardi publie sur son compte Instagram quand je lui ai finalement proposé qu’on se rencontre pour un 5 à 7 dans le Mile End. Ce n’était pas sur la terrasse d’un bar qu’on allait faire connaissance, mais plutôt au Champ des Possibles, un lieu riche en biodiversité urbaine.

Le ciel était gris et les nuages menaçaient de rompre, le soir de juillet où il nous a rejoints, Katya (la meilleure photographe ever) et moi, après son travail pour le WWF-Canada où il œuvre à titre de spécialiste en biodiversité urbaine. J’avais donné comme mission à Marc, qui est également biologiste et horticulteur à son compte, de me présenter un échantillon de plantes comestibles qu’on trouve en milieu urbain.

Cela étant dit, sans qu’aucun de nous le réalise, au cri d’un oiseau ou à la vue d’une espèce de mouche, la discussion a rapidement dérivé sur les liens entre la biodiversité, l’alimentation et l’agriculture. Je suis donc reparti le ventre totalement vide, mais avec un regard neuf pour la vie qui nous entoure.

Le Champ des Possibles

En ville, les espaces verts laissés en friche sont rares. C’est pour cette raison que le Champ des Possibles, qui est né de l’initiative de citoyens désirant conserver cet espace vert, est aussi unique. Ce haut lieu de la biodiversité représente ainsi un endroit pour les Montréalais où être en contact avec des espèces typiques de la ville.

« Souvent dans les villes, les plantes pionnières, soit les premières à s’installer dans un endroit perturbé, sont des espèces introduites, à cause de la proximité avec les humains. On peut penser aux plantes qui ont suivi les Européens, parfois accidentellement, parfois intentionnellement. », m’explique Marc Sardi.

Comme me le raconte le biologiste, nous devons composer avec cet environnement qu’on a créé. La biodiversité urbaine comprend les humains, mais aussi tout le bagage vivant qu’on a apporté, comme des plantes médicinales ou celles qui ont voyagé clandestinement dans nos bateaux.

En marchant, il me pointe une fleur avec des petits pompons jaunes. C’est la matricaire odorante, appelée Pineapple Weed en anglais. Lorsqu’on écrase légèrement les fleurs, elles dégagent une odeur d’ananas. Un savoir qui semble inutile, mais qui a impressionné mes amis lorsque je leur ai tendu une fleur quelques jours plus tard.

Une autre plante très présente dans le champ est la luzerne. « C’est une plante fourragère dans la famille des pois. On peut faire des pousses de luzerne, mais c’est une plante qui a été introduite comme plante fourragère pour l’élevage des animaux. », me montre l’horticulteur.

De l’importance de préserver les espèces indigènes

En ville, nous voulons nos rosiers, nos hostas, nos haies de cèdres et notre gazon. Malheureusement, nous laissons rarement la place aux espèces indigènes qui se sont enracinées ici il y a des milliers d’années.

« Toutes les plantes sont importantes. Elles luttent contre les îlots de chaleur, elles captent l’eau de pluie, elles réduisent les risques d’inondation, elles filtrent l’air… Mais, si on veut un écosystème durable et résilient, on doit créer un espace où la biodiversité des plantes est en équilibre avec les populations d’animaux et d’insectes. Quand c’est en équilibre, on n’a pas besoin d’intervenir aussi fréquemment pour que l’habitat persiste. Si on garde juste certains végétaux spécifiques, dans les saillies de trottoirs par exemple, les travaux publics doivent passer, retirer les mauvaises herbes, ce qui nuit à la structure du sol et aux relations entre les organismes. », m’explique le biologiste.

Un autre des avantages d’offrir un espace aux plantes indigènes est qu’elles ont coévolué avec les pollinisateurs indigènes et elles offrent ainsi de la nourriture toute la saison. Il me pointe alors le mélilot, une plante mellifère par excellence qu’on retrouve partout en ville. Certains produisent des sirops avec cette fleur afin de remplacer l’extrait de vanille dans les recettes.

On sait que la pollinisation est un service très important que nous rendent les insectes. Environ un tiers des aliments produits nécessite le travail de ces butineurs. Mais cet argument dérange un peu le biologiste.

« Oui, c’est vrai. Si on n’a pas les insectes pollinisateurs, on aura une nourriture pas mal moins diversifiée, mais, c’est encore what’s in it for us ? Il y a quand même entre 80 % et 90 % des plantes qui sont pollinisées par les insectes. On parle de presque toutes les plantes. Si elles ne peuvent pas se reproduire, on ne peut pas s’attendre à ce que leurs populations soient viables. Sans les insectes pollinisateurs, non seulement notre alimentation est brimée, mais la résilience des écosystèmes l’est aussi. », explique-t-il.

Un peu plus loin, nous tombons sur des plants de courgettes qui semblent avoir poussé dans un potager abandonné. Tout excité, le biologiste observe les fleurs à la recherche d’une surprise. « Il y a une abeille qu’on appelle l’abeille des citrouilles. Elle a une relation particulière avec les citrouilles et les courges. C’est une abeille mexicaine à l’origine, mais son aire de répartition a progressé vers ici avec l’expansion humaine, avec les jardins et l’agriculture. Elle va s’accoupler dans la fleur, elle va dormir dans la fleur, elle va chiller dans la fleur, elle va même faire son nid au pied du plant. Souvent, elle va laisser sa peau dans la fleur parce que celle-ci va se refermer et l’emprisonner. », me raconte Marc Sardi en ouvrant méticuleusement une fleur de laquelle une abeille prisonnière s’envole rapidement.

Les méchantes guêpes et les gentilles abeilles

Avant que notre marche dans le champ tire à sa fin, je lui demande s’il a un message important qu’il souhaite passer.

« Oui. J’aimerais parler des guêpes. », me répond-il.

Le biologiste remarque que pour diminuer la peur des abeilles que certaines personnes entretiennent, on les décrit souvent comme gentilles et inoffensives, contrairement aux guêpes qui sont agressives. « Les guêpes sont extrêmement diversifiées. Il y a en a plus de 100 000 espèces dans le monde. Il y a un très faible pourcentage de ces guêpes qui sont sociales et qui vont défendre leur nid. Mais la grande majorité n’a pas de fibre agressive. Si tu vas “gosser” dans un nid d’abeilles ou de guêpes, tu risques d’avoir la même réaction. », m’explique Marc Sardi.

Oui, les abeilles sont très importantes pour nos potagers urbains, mais les guêpes y ont aussi leur place selon le biologiste. « Elles n’ont pas nécessairement un rôle aussi important d’un point de vue de la pollinisation, mais elles ont un rôle de prédation. Plusieurs guêpes sont spécialistes de la chasse aux araignées, aux sauterelles, aux mouches, aux chenilles… Plusieurs mangent les pucerons. Elles sont donc nos alliées et ont énormément de valeur à avoir autour de nous. », m’explique-t-il.

Sur le chemin du retour, quand le ciel a finalement décidé de laisser tomber quelques gouttes, je me suis surpris à reconnaître le mélilot en dessous de tous les arbres de ma rue. Certains croient qu’il faut partir loin dans la forêt pour entrer en contact avec la nature, mais elle se trouve partout en ville. Dans un jardin, un terrain laissé à l’abandon ou dans la craque du trottoir, les plantes, les insectes et les animaux s’animent. Et il suffit souvent d’une histoire ou d’un fait amusant pour que ces espèces anonymes apparaissent soudainement dans notre champ de vision.


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