Ne trouve pas qui veut la seule champignonnière montréalaise, située dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. L’adresse ne se voit pas de la rue. Il faut passer par une ruelle industrielle menant à une espèce de clairière qui éblouissait de sa blancheur immaculée sous le soleil de janvier, quand je m’y suis rendu. Les piles de seaux blancs troués qui s’accumulent au bord d’une porte anonyme signalent qu’on est bien arrivé chez Blanc de gris.
J’ouvre la porte et une odeur terreuse m’assaille les narines. Oui, je suis au bon endroit. Un peu plus loin, je reconnais Dominique Lynch-Gauthier, qui a fondé Blanc de gris avec Lysiane Roy Maheu. Elle vient m’accueillir, vêtue d’une peau de mouton. C’est qu’il fait froid dans la champignonnière. « Tu devrais garder ton manteau. On cultive des espèces d’hiver présentement », m’indique-t-elle.
Une passion de longue date
J’ai rencontré Dominique il y a trois ans à l’École d’été d’agriculture urbaine de l’UQAM. Déjà à l’époque, elle me parlait de son projet de champignonnière.
« J’ai commencé à cultiver des champignons avec P.A.U.S.E. – Pour Production Agricole Urbaine Soutenable et Écologique, une initiative de l’Université de Montréal — il y a plusieurs années déjà, puis j’ai rencontré Vincent Leblanc de Violon et champignon, qui m’a montré comment cultiver des champignons dans mon jardin. Je me suis rendu compte que c’était encore plus facile que les plantes potagères et que j’avais de meilleurs résultats. Pendant plus d’un an, j’ai fait des tests dans ma cave, et ce sont vraiment mes lectures et mes expérimentations qui m’ont le plus appris », me raconte-t-elle.
Cela fait maintenant un an que les deux femmes se sont installées à Hochelaga, mais la production n’a démarré qu’en juin dernier.
La culture
Blanc de gris s’inscrit parfaitement dans le concept d’économie circulaire. Les déchets d’autres industries locales sont valorisés grâce à la champignonnière. « Notre substrat est constitué de résidus de la torréfaction du café, de drêches de brasserie, le résidu brassicole, et de copeaux de bois », me dit-elle en plongeant la main sans crainte dans une cuve remplie du substrat à 74 °C, en train d’être pasteurisé.
Une fois pasteurisé et refroidi, le substrat est inoculé de mycélium et est laissé à incuber pendant 2 semaines à la noirceur. C’est une période critique où il faut laisser le mycélium seul, à l’abri, afin d’éviter la contamination par les moisissures.
Les seaux sont ensuite placés dans les serres, où la température et l’humidité sont contrôlées, afin de faire fructifier les champignons. En hiver, il faut attendre un peu plus d’un mois avant de récolter. Des sacs de plastique transparents sont suspendus au plafond. « C’est pour éviter d’ouvrir les seaux. On peut ainsi suivre l’évolution du mycélium », m’explique Dominique.
Chaque seau contient dix kilos de substrat et produit environ deux kilos de champignons. « On pourrait faire mieux », m’assure la champignonniste.
Marché inexploité
Selon Dominique, en ce moment, les restaurateurs montréalais s’approvisionnent généralement en champignons d’Ontario, de Colombie-Britannique ou même de Pologne et d’Asie. C’est donc rare pour eux d’avoir accès à des produits aussi frais que ceux offerts par Blanc de gris. « Il y a même un de mes clients, restaurateur, qui, en voyant nos produits pour la première fois, a appris que les pleurotes frais sont fermes », me dit-elle fièrement.
Ainsi, 90% de leurs clients sont des restaurateurs, et les deux associées ne fournissent pas à la demande. Beau problème pour une entreprise en démarrage.
« Pour le moment, on cultive des champignons d’hiver, comme le pleurote bleu et le pleurote gris, mais cet été, nous allons tester d’autres variétés telles que les pleurotes roses, jaunes ou même des shiitakes. En s’inscrivant dans l’économie circulaire, notre but est de valoriser les déchets d’autres industries. Donc, on aimerait évaluer quels déchets sont produits localement, à Montréal, et quels champignons pourraient bien pousser à partir de ces déchets, » m’explique-t-elle.
La transformation des champignons
Évidemment, comme pour n’importe quelle culture, les champignons ne poussent pas tous de façon parfaite. Avec l’aide de Carole, la mère de Dominique, les champignons « moches » ou fatigués seront bientôt cuisinés en tapenades, un projet de transformation qui leur tient à cœur.
Afin de développer son offre de produits transformés, l’entreprise doit faire l’achat de matériel. Pour cette raison, les cofondatrices ont démarré une campagne de sociofinancement qui se termine le 29 janvier. Elles ont presque atteint leur objectif, mais ont encore besoin d’un petit coup de pouce pour mener à terme leur projet. Si vous désirez aider une entreprise d’ici, qui encourage l’alimentation locale et combat le gaspillage alimentaire, vous pouvez aller visiter leur page. Elles offrent d’ailleurs une visite de leur champignonnière parmi les contreparties. Une expérience qui vaut la peine, à mon avis.
Avant de quitter les lieux, Dominique m’a remis un sac de pleurotes bleus cueillis le jour même que je me suis empressé de ranger dans mon sac. Je suis reparti par la clairière en réfléchissant à une recette qui les mettrait en valeur. Je les ai finalement sautés dans un beurre aux fines herbes que j’avais cuisiné avec Daniel Vézina (name dropppppiinngg) pour sa nouvelle émission à Zeste, ce qui laissait toute la place aux saveurs du champignon. Qui a dit que manger local était impossible en hiver, déjà?
Mais quelle merveilleuse entreprise, bravo! J’ai un craving de champignons frais là!