
Un groupe de chercheurs vient de publier, dans le journal scientifique Annals of Internal Medecine, un ensemble d’études sur la consommation de viande et la santé. Selon les auteurs, et selon les articles qui circulent dans les médias, on devrait dire aux gens de continuer à manger autant de viande qu’ils le veulent. J’ai donc voulu creuser pour comprendre un peu mieux ces conclusions.
Quelques mots sur ces études
En gros, les experts ont analysé des études qui se sont penchées sur le lien entre la consommation de viande rouge ou de viande transformée (charcuteries) et la santé. À partir des données disponibles, ils ont voulu estimer quel serait l’impact sur la santé de diminuer la consommation de ces aliments de 3 portions par semaine. (Donc par exemple, passer de 7 repas à 4 repas par semaine.) Ils ont également effectué une étude sur les raisons qui incitent les gens à manger de la viande. (Ce bout là est important pour la suite!)
Selon les résultats obtenus, le groupe de chercheurs a estimé que l’effet positif sur la santé serait minime et que la science n’était pas suffisamment « forte » pour justifier les recommandations actuelles telles que celles de Santé Canada, de l’Organisation Mondiale de la Santé et du World Cancer Research Fund. Ainsi, ils concluent en disant qu’on devrait seulement recommander à la population de continuer à manger de la viande comme d’habitude.
Mais, vous devez vous en douter, il y a de gros MAIS avec ces conclusions…
Quelques bémols et critiques
1) Il faut d’abord comprendre que les chercheurs ont trouvé que diminuer la consommation de viande rouge et de viande transformée pouvait avoir un impact positif sur la santé. Ce n’est pas ce qu’ils remettent en doute. Cependant, ils considèrent cet effet comme trop petit pour que cela vaille la peine d’en parler à la population. Selon eux, la science de la nutrition est trop complexe et les données sont insuffisantes pour pouvoir arriver à une conclusion claire en ce moment… Ici, on a affaire à ce que la nutritionniste Marion Nestle appelle le nihilisme nutritionnel. (J’adore le terme.) En gros, c’est comme dire : « Bof, l’effet est petit et on n’est pas trop certain, alors ça ne sert à rien d’en parler. »
2) Dans leurs analyses, les chercheurs ont exclu toutes les études sur les végétariens et les végétaliens… À mon avis, ils auraient probablement eu des résultats plus « forts » en étudiant cette population aussi.
3) Les auteurs partent de la donnée qu’on mange entre 2 et 4 repas de viande rouge par semaine en Amérique du Nord pour affirmer qu’on devrait « continuer à faire comme en ce moment ». Or, si on regarde les recommandations officielles comme celle du World Cancer Research Fund, c’est exactement la même quantité qui est recommandée, soit de limiter la viande rouge à environ 350 à 500 grammes par semaine… Donc environ 3 repas par semaine… Vous comprenez? C’est la même donnée, mais un groupe dit de LIMITER à 3 repas par semaine, alors que l’autre dit de RESTER à cette quantité. Le pouvoir des mots…
4) L’autre point qui a fait pencher la balance vers le statut quo, c’est leur étude sur les motivations à manger de la viande. En gros, les chercheurs ont observé que les gens aiment manger de la viande, donc on n’arriverait pas à les motiver à en manger moins si l’effet sur la santé est trop petit.
5) Les chercheurs ont volontairement exclu de leurs analyses tout ce qui touche au bien-être animal et à l’impact environnemental de la viande. Pourtant, il s’agit d’autres motivations importantes en lien avec la consommation de viande. En plus, les problématiques environnementales deviennent généralement des problématiques de santé publique. Un gouvernement devrait donc en tenir compte quand il émet des recommandations. Mais bon, ça ce n’est que mon avis.
6) Même parmi les auteurs, tous ne se sont pas entendus sur les conclusions. Sur les 14 experts du groupe, 3 ont voté pour que la recommandation soit de « limiter » la consommation de viande et 11 ont voté pour le statut quo.
La controverse, ça vend
En science, il est normal d’avoir des études qui vont dans un sens et qui vont dans l’autre. C’est de cette façon qu’on se rapproche de la vérité. Cependant, il n’y a pas grand-chose qui plaît plus aux médias que la controverse. Ça fait cliquer les gens sur les articles! Ainsi, ils mettent souvent de l’avant les études qui semblent contredire tout ce qu’on dit depuis des années en nutrition. Chaque fois que vous voyez passer des nouvelles qui affirment que tout ce que les experts vous disent depuis des années vient d’être renversé avec une seule étude, méfiez-vous. Plus souvent qu’autrement, on a affaire à de la bullshit nutritionnelle.
Johnston B. C., Zeraaktar D., Han A. M. et coll. Unprocessed Red Meat and Processed Red Meat Consumption: Dietary Guidelines Recommendations From the NutriRecs Consortium. Annals of Internal Medecine 2019; doi:10.7326/M19-1621
Harvard School of Public Health. (30 septembre 2019) New “guidelines” say continue red meat consumption habits, but recommendations contradict evidence. https://www.hsph.harvard.edu/nutritionsource/2019/09/30/flawed-guidelines-red-processed-meat/
Nestle, Marion. (30 septembre 2019) Eat as much meat as you like. Really? https://www.foodpolitics.com/2019/09/eat-as-much-meat-as-you-like/
World Cancer Research Fund. Limit Red and Processed Meat. https://www.wcrf.org/dietandcancer/recommendations/limit-red-processed-meat