Il s’agit d’une des pierres angulaires du discours contre l’industrie des diètes et cette statistique est répétée sans arrêt par de nombreuses personnes dans le milieu de la santé. Je l’ai moi-même déjà utilisée en me basant sur des documents provenant d’organismes de santé publique. Cette statistique affirme que « 95 % des gens qui font une diète reprennent le poids perdu après cinq ans ».

Dans les deux dernières années, alors que le mouvement anti-diète a pris de l’ampleur, j’ai commencé à m’intéresser à la source de cette donnée. Mais chaque fois que je fouillais dans les références des documents qui citaient cette phrase, je me retrouvais à suivre de longues traces de rapports qui citent d’autres rapports, qui citent d’autres rapports… Les pistes se terminaient toujours par de vieux documents désormais inaccessibles, qui ne citaient pas leurs références ou qui ne contenaient pas les fameux chiffres cités.

C’est à ce moment que j’ai commencé à m’inquiéter… Est-ce que j’aurais partagé de fausses informations à mon insu ? Pas le choix, il fallait que je creuse davantage.

D’où vient le 95 % ?

Hypothèse 1

Apparemment, je ne suis pas le premier à m’être posé la question. En fait, je suis même très en retard. Déjà en 1999, une journaliste du New York Times, Jane Fritsch, a examiné la véracité de cette affirmation.

Dans cet article, elle énonce que la statistique est répétée depuis des décennies et qu’elle proviendrait d’une étude clinique effectuée en 1959 par le Dr Albert Stunkard et Mavis McLaren-Hume. Dans le cadre de celle-ci, les chercheurs ont donné une diète à 100 personnes. Deux ans après l’étude, seulement 2 personnes sur les 100 avaient maintenu leur perte de poids. Toutes les autres n’ont soit perdu aucun poids ou l’ont complètement regagné.

Si cette étude est réellement la source de ce chiffre, ça va mal. On s’entend qu’une étude sur 100 personnes ne peut en aucun cas devenir une « vérité absolue » pour l’ensemble de l’humanité ! Et répéter les résultats d’une étude de 1959, sans mise à jour, a peu de sens aujourd’hui. Dans son article de 1999, la journaliste interview le Dr Stunkard à ce sujet. Lui-même avoue ne pas comprendre pourquoi cette étude est encore considérée comme une référence alors que la science a autant évolué depuis.

Pour être honnête avec vous, j’ai un doute par rapport à cette explication. Je vous rappelle que selon les résultats de cette étude, « 98 % des gens n’ont pas maintenu une perte de poids 2 ans après avoir suivi une diète. » Si elle est vraiment à l’origine du « mythe », comment se serait-elle transformée en « 95 % des gens qui suivent une diète reprennent le poids après 5 ans » ?

Hypothèse 2

En continuant mes recherches et en harcelant mes collègues pour des sources, je suis tombé sur une autre piste prometteuse. Dans un autre article du New York Times publié en 1992 par la journaliste Jane E. Brody, elle mentionne qu’un panel d’experts en obésité s’est rencontré à la demande du National Institute of Health aux États-Unis pour se pencher sur l’efficacité des diètes. Elle dit que : « les données évaluées par le panel suggèrent que de 90% à 95% des personnes qui se soumettent à des diètes regagnent la totalité ou la majorité du poids perdu dans les cinq années suivantes. »

J’ai retrouvé l’article scientifique qui a été publié par le panel en question à la suite de cette rencontre. Aucune trace des fameux chiffres. Les auteurs affirment simplement que « la plupart des participants vont reprendre le poids perdu dans les 1 à 5 années suivantes ». L’article scientifique ne présente d’ailleurs aucune des références consultées par le panel.

Si l’article du New York Times de 1992 est réellement la source originale de cette statistique, c’est problématique puisqu’il s’agit d’une donnée provenant uniquement de la journaliste et non d’un article scientifique. Par contre, puisque l’article publié en 1999 dans le New York Times affirme que le fameux 95% « circule depuis des décennies », alors il se peut qu’il ne s’agisse que d’une manifestation de ce mythe et qu’il existe une source plus ancienne.

Hypothèse 3

En fouillant dans les références de plusieurs personnes et organismes qui avancent ce chiffre, j’ai vu une étude finlandaise publiée en 2000 dans le International Journal of Obesity qui est citée continuellement. À première vue, l’étude indique dans sa conclusion que « 6% des individus en surpoids ont perdu et maintenu leur perte de poids » neuf ans plus tard. Ainsi, cela permettrait d’affirmer que « 94% des gens ne perdent pas de poids ou reprennent  le poids perdu dans les années suivantes ». On se rapproche du 95%…

Or, en creusant davantage, j’ai réalisé que les participants de cette étude n’avaient pas suivi une diète. Ils ont seulement rempli des formulaires pour donner leurs informations. Les chercheurs ont donc pris les données des formulaires et ont regardé la fluctuation de poids des gens dans la population. Ils ont observé que 94% des gens en « surpoids » n’avaient pas perdu de poids ou avaient repris du poids neuf ans plus tard.

Si cette étude est à la base de l’affirmation que 95% (ou 94%) des gens qui suivent des diètes reprennent le poids perdu, c’est problématique parce qu’il ne s’agit même pas d’une étude sur les diètes. Et comme elle a été publiée en 2000, cela n’expliquerait pas pourquoi déjà en 1999 cette statistique était véhiculée.

Hypothèse 4

Ma dernière piste provient d’un article cité par de nombreux organismes de santé publique. Il a été publié en 1994 par deux chercheurs, Wooley et Garner, dans le British Medical Journal. Dans l’introduction, les auteurs affirment qu’: « il est bien connu que de 90% à 95% des gens qui perdent du poids [en suivant une diète] le reprennent après plusieurs années. » Pour supporter cette affirmation, ils citent une de leur étude publiée en 1991 dans le journal Psychology Clinical Review.

Dans cet article, que j’ai retrouvé, aucune trace de ce chiffre… Seulement une affirmation selon laquelle « il est clair que la majorité des individus vont reprendre leur poids après quatre ou cinq ans ».

Si cette étude est réellement à la base de la statistique, c’est problématique puisque le chiffre est apparu sans source en 1994. (Ceux qui creuseront davantage verront que je l’ai retenue pour la suite du texte, mais évidemment sans le fameux chiffre.)

Mort au 95%! (Jusqu’à preuve du contraire)

Une chose est claire : tant qu’on ne m’amènera pas de preuves plus solides que cette statistique est véridique et qu’elle est supportée par de nombreuses études, vous ne m’entendrez plus dire cette phrase.

Cela étant dit, à mon avis, ce n’est pas le plus important dans cette histoire. Parce qu’au-delà du chiffre, il y a un fait qui est avancé et qui est à la base du mouvement anti-diète : les diètes ne fonctionnent pas à long terme et la plupart des gens vont reprendre le poids perdu dans les années suivantes.

Donc, si cette fameuse statistique ne tient pas la route, est-il toujours vrai d’affirmer que les diètes ne fonctionnent pas à long terme?

Étudier les diètes plus que six mois

Les diètes et leur effet sur le poids sont très étudiées. Par contre, la plupart des chercheurs observent l’effet de la diète pendant 3 mois, 6 mois, parfois un an quand on est chanceux. Et donc, si l’étude cesse après 6 mois et que les participants ont perdu du poids, les chercheurs concluent que leur méthode est efficace.

Oui, mais non…

On s’entend que 6 mois, ce n’est rien dans une vie ! On le sait que les diètes génèrent une perte de poids rapide. Après tout, c’est relativement facile de se restreindre pendant quelque temps. Mais comme beaucoup de gens l’ont expérimenté, c’est beaucoup plus corsé de suivre des règles alimentaires strictes pendant des années, voire une vie entière.

Pour répondre à ma question, j’ai donc décidé de me pencher sur les études, beaucoup plus rares, qui ont suivi les participants pendant au moins trois ans pour voir si la diète permet réellement de perdre du poids sur le long terme. Également, puisque je ne pense pas qu’on puisse généraliser des statistiques qui proviennent d’une seule étude, je me suis attardé seulement aux revues de littérature et aux méta-analyses qui ont rassemblé les résultats de plusieurs études. J’en ai trouvées 6 qui répondaient à ces deux critères, publiées entre 1991 et 2019. Si jamais vous avez d’autres articles à me référer qui répondent à ces critères, n’hésitez pas à mes les envoyer.

Comme toujours, toutes mes références se trouvent à la fin. J’ai aussi mis un petit résumé de chacune des études dans une section à part, à la fin de l’article. Je n’ai pas voulu les écrire ici puisque je sais que la majorité d’entre vous n’êtes pas intéressés à lire des listes de chiffres et de pourcentages. Bref, si vous voulez creuser davantage les conclusions des études, vous pouvez aller regarder cette section à la fin de l’article.

Donc, les diètes sont-elles efficaces à long terme ?

Les six méta-analyses et revues de la littérature que j’ai trouvées arrivent à des conclusions très similaires. La majorité des gens qui suivent une diète vont perdre du poids à court terme. Par contre, quand on continue de suivre les gens pendant quelques années, force est de constater que la majorité d’entre eux vont reprendre le poids perdu en partie ou en totalité dans les années qui suivent. La majorité des études que j’ai trouvées n’énoncent pas vraiment de statistiques globales dans leurs conclusions. Personnellement, je serais trop frileux d’avancer un quelconque chiffre pour le moment. Je ne crois pas avoir suffisamment de données sous la main pour ça.

Donc, à la lumière de mes recherches, je ne crois pas qu’il soit possible d’affirmer que « 95 % des gens qui font une diète reprennent le poids perdu dans les 5 années qui suivent ». Cependant, en me fiant aux études disponibles sur le sujet, j’estime qu’il est possible d’affirmer sans trop de doute que de manière générale, les diètes ne fonctionnent pas sur le long terme et que « la majorité des gens qui font une diète reprennent le poids perdu dans les années qui suivent ».

En 1991, deux chercheurs, Garner et Wooley, ont effectué une revue de littérature sur l’efficacité des changements alimentaires en lien avec le maintien de la perte de poids sur le long terme. En se basant sur les quelques études disponibles à ce moment, ils ont conclu, sans avancer de chiffre précis, que « peu importe la technique utilisée, la majorité des participants regagnent le poids perdu. »

En 2000, des chercheurs ont effectué une méta-analyse en assemblant les résultats de 17 études, datant de 1931 à 1999, qui avaient observé l’efficacité de changements d’habitudes alimentaires sur la perte de poids. Les études ont suivi les participants de 3 à 14 ans. En combinant les données des 2131 participants, les chercheurs ont calculé que 85 % des gens qui ont fait une diète ont repris le poids en 3 ans.

En 2001, des chercheurs ont rassemblé les résultats de 29 études cliniques effectuées aux États-Unis qui ont évalué l’efficacité des diètes sur la perte de poids après un minimum de 2 ans. Selon leurs conclusions, en moyenne, 4 ou 5 ans après la diète, les participants avaient repris 77 % du poids perdu. Ils mentionnent toutefois qu’entre 20 % et 45 % des participants ont abandonné avant la fin et n’ont donc pas été comptés dans cette moyenne. En d’autres mots, on a gardé seulement les données des gens qui ont tenu jusqu’ à la fin. Cela peut donc biaiser les résultats en faveur de la diète. Vraisemblablement, les résultats seraient pires si on avait comptabilisé ceux qui avaient abandonné.

En 2007, des chercheurs de l’Université de Californie, Los Angeles ont effectué une revue de la littérature sur l’efficacité des diètes pour vérifier si Medicare, le système d’assurance-santé géré par le gouvernement américain, devrait rembourser les diètes prescrites contre l’obésité. En se basant sur les études les plus crédibles disponibles à l’époque, les chercheurs ont conclu, sans avancer de chiffre précis, que l’effet des diètes sur le poids était minime sur le long terme. Ils ont même été jusqu’à dire que cela ne prenait pas plus d’études pour essayer de le prouver puisque l’inefficacité des diètes était bien démontrée par la science.

En 2015, des chercheurs ont effectué une revue systématique de la littérature et une méta-analyse et ont combiné 14 études d’une durée d’au moins 3 ans. En se basant sur les résultats déclarés par les études, les chercheurs ont conclu que : « la majorité des individus vont perdre du poids [en suivant une diète] puis vont reprendre la majorité du poids perdu ».

En 2019, des chercheurs ont effectué le même travail que les précédents, mais en tenant compte des lacunes fréquentes, comme le haut taux d’abandon ou la courte durée des études. Ils ont ainsi sélectionné seulement les études de plus haute qualité, ayant suivi les gens pour un minimum de 3 ans et dont moins de 30 % des participants ont abandonné après le début de la période de suivi. Seulement huit études remplissaient ces critères. À l’exception d’une étude, les sept autres ont observé une reprise quasi complète du poids après au moins 3 ans.

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Fritsch, Jane. (1999) 95% Regain Lost Weight. Or Do They? New York Times

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