
Quand j’étais enfant, je trouvais tellement que les publicités étaient meilleures à YTV, la chaîne ontarienne destinée aux enfants, qu’à Canal Famille. Les jeunes avaient tellement l’air d’avoir du plaisir avec les jeux présentés ! J’en étais venu à croire, à cette lointaine époque, que les enfants anglophones avaient plus d’imagination que nous…
En fait, mini-Bernard ne savait pas qu’au Québec, dans le cadre de la Loi sur la protection du consommateur, nous nous sommes dotés en 1978 de règlements pour protéger les enfants contre la publicité. Il est interdit pour les compagnies de produire et de diffuser de la publicité destinée aux jeunes de moins de 13 ans.
Bernard l’adulte, lui, comprend bien maintenant l’importance d’une pareille loi pour la santé publique. En 2003 déjà, l’Organisation mondiale de la santé considérait que la publicité d’aliments denses en énergie était une des causes probables de l’obésité.
En mars 2016, le sénat a publié un rapport s’intéressant à l’obésité au Canada. Le comité y émettait de nombreux constats et recommandations, mais au moment de sa publication, ce sont surtout les critiques sur le Guide alimentaire canadien qui ont fait les manchettes.
Or, la 2e recommandation sur les 21 du rapport est la suivante :
Le comité recommande au gouvernement fédéral :
- d’entreprendre immédiatement une évaluation de l’interdiction de la publicité pour des aliments destinée aux enfants en vigueur au Québec ;
- d’établir et de mettre en œuvre une interdiction de la publicité pour des aliments et des boissons destinée aux enfants fondée sur cette évaluation.
Ainsi, ils reconnaissent également l’importance du rôle que peut jouer la publicité alimentaire dans l’obésité au Canada.
Bien que notre loi québécoise soit vantée un peu partout sur la planète comme étant un exemple à suivre, il existe toujours une exception qui permet aux compagnies agroalimentaires de s’en donner à cœur joie dans les allées de nos supermarchés. Présentement, les emballages et les étiquettes sont exclus de cette réglementation. Or, ça ne prend pas un baccalauréat en marketing pour comprendre que les enfants sont attirés par les produits qui leur sont destinés.
De la malbouffe déguisée en princesse, ça reste de la malbouffe
Honnêtement, je ne sais pas si c’est parce que je n’ai pas d’enfant, mais je ne remarque jamais vraiment les produits qui affichent des bonshommes. Hier, je suis allé me promener dans les allées d’un supermarché pour repérer les personnages.
J’y ai vu des bonbons, des céréales sucrées, des jus de fruits, des punchs aux fruits, des biscuits, des plats de pâtes en conserve, des compotes de fruits et des « collations ». Une étude canadienne publiée en 2008 déclarait que 89 % des aliments qui présentaient des personnages pour enfants étaient riches en sucre, en gras et en sel. Mon petit tour rapide en épicerie ne me laisse aucun doute quant à ce fait.
Comment se fait-il que d’un côté on veuille protéger les enfants de la publicité, mais que de l’autre, nous laissions ces compagnies les attirer avec ces aliments ultra-transformés ?
Adieu Bob l’éponge !
Hier, la sénatrice Nancy Greene Raine a présenté un nouveau projet de loi qui viserait justement à changer cette situation au Canada. En s’inspirant de ce qui se fait au Québec, mais en allant encore plus loin, cette loi interdirait la publicité alimentaire destinée aux enfants. Et point encore plus intéressant, les étiquettes et emballages seraient inclus dans le lot.
Dans sa lettre de mandat à la ministre de la Santé Jane Philpott, Justin Trudeau nommait d’ailleurs explicitement qu’il s’attendait à la voir travailler sur des restrictions concernant la publicité alimentaire destinée aux enfants. Il me semble que ce serait la bonne occasion de le faire, non ? *wink wink*
Si cette loi est réellement adoptée, et je l’espère fortement, ce sera un pas de plus de la part du gouvernement pour offrir un meilleur environnement alimentaire aux Canadiens et protéger nos enfants contre l’influence de l’industrie.
En attendant, on risque de voir l’industrie réagir assez rapidement à cette annonce et tout faire pour éviter qu’on leur enlève le droit d’afficher des personnages sur leurs emballages. Oui, c’est de la politique alimentaire, et on a souvent l’impression d’être impuissant devant ces questions, mais je continue toujours à croire que comme consommateurs, nous avons le gros bout du bâton. On a déjà le pouvoir entre nos mains de refuser d’acheter ces produits alimentaires et d’éduquer nos enfants à faire des choix éclairés au supermarché.
Dora l’exploratrice n’a aucun pouvoir sur nous.
Coalition Poids (2015) Un étiquetage nutritionnel simple et un emballage sans diversion pour faire une réelle différence dans l’alimentation des Canadiens. http://www.cqpp.qc.ca/documents/file/2015-08_coalition-poids_consultations_etiquetage.pdf
OMS (2003). Diet, nutrition and the prevention of chronic diseases: report of a joint WHO/FAO expert consultation http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/42665/1/WHO_TRS_916.pdf
Parlement du Canada (2016) Obésité au Canada : Une approche pansociétale pour un Canada en meilleure santé. http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/421/soci/RMS/01mar16/Report-f.htm
C’est un projet de loi intéressant, mais tout de suite je me pose des questions sur son application. Comment sera défini un « aliment pour enfant »? On interdit tout personnages at large (bye bye Géant vert?) ou juste quand ils sont sur des produits qui sont traditionnellement sur des produits consommés par des enfants?
J’essaie de me faire un scénario qui permet de facilement circonscrire ce qu’on interdit et j’y arrive pas (peut-être pour ça que je ne rédige pas des lois), mais je suis curieux de lire des propositions.
Au Québec, pour qu’une publicité aux enfants soit considérée illégale au terme de l’interprétation de la loi, il y a trois conditions essentielles. La première est qu’il faut que le produit publicisé suscite l’intérêt des enfants. La seconde concerne la manière de promouvoir le produit (est-ce conçu pour capter l’attention des enfants ou être aimé de ceux-ci?). La dernière concerne l’endroit où figure la publicité et le moment où elle est peut être vue (est-ce que des enfants peuvent la voir?). Ce sont donc essentiellement des compagnies de gâteaux, de céréales pour enfants, de restauration rapide et de boissons sucrées qui ont donc enregistré des plaidoyers de culpabilité à cet égard dans les dernières années. Par conséquent, Dora peut très bien annoncer une carte de crédit ou une voiture électrique sans problème, mais les publicistes préfèrent généralement cibler leur public plus efficacement. Monsieur Net et le chaton de Cottonelle devraient survivre 🙂
Merci pour ton commentaire, Anne-Marie. 🙂
A mon avis ce n’est pas l’apparence du contenant le problème c’est le contenu. Même si vous enlever les petits bonhommes sur l’emballage si le produit n’est pas bon pour la santé le problème reste le même. Nous avons une enfance à vivre et c’est toujours plaisant de déjeuner avec Bob l’éponge surtout si l’enfant déjeune seul…. Améliorer le produit pour qu’il soit plus santé, c’est une meilleur option que d’enlever Bob l’éponge à cet enfant qui est seul et regarde la boite de céréale et le fait rêver.
C’est un mix des deux. Bien sûr, le contenu est problématique, mais c’est le contenant qui incite à ce qu’on achète le produit. Mais comme vous le dites, il ne fait aucun doute qu’on doive également s’attaquer à l’offre alimentaire, pas seulement au marketing.
Excellent article ! Merci beaucoup. Je partage. Même quand on fait le choix de ne pas acheter ces produits pour nos enfants, on se retrouve quand même, chaque fois qu’on fait l’épicerie, à dire non à peu près 140 fois à nos enfants qui voudraient ces collations, bouteilles, cannes, boîtes… déguisées en princesses et en bonhommes, parce que leurs amis en ont, eux, dans leur lunch. En vieillissant, ils en viennent à comprendre que la compote maison goûte plus vraie que celle achetée, est meilleure pour la santé et que si le petit pot mason qui la contient est moins cute que celui du magasin, il ne finira pas dans le ventre d’un oiseau marin. C’est vers ça qu’on veut en venir, éduquer nos enfants sur les choix alimentaires. Mais avant d’en arriver là, on a quelques années en travailler fort et à trouver que faire l’épicerie seule c’est quasiment des vacances !