
*Cet article a été rédigé dans le cadre d’un appel de sujets destiné aux étudiants en nutrition des universités francophones du Canada. Les trois personnes sélectionnées ont travaillé pendant l’été 2017, en collaboration avec moi (Bernard Lavallée), sur la rédaction d’un article. L’auteure de ce billet se nomme Ariane Lafortune et elle étudie à l’Université de Montréal.*
Influencer le comportement alimentaire des gens, c’est mon futur métier. Pourtant, chaque jour, sur le fil d’actualité des médias sociaux que je consulte, je suis exposée à des personnes populaires, n’ayant aucune formation en lien avec l’alimentation, qui parlent d’un produit ou d’une compagnie et qui influencent ainsi ce que des milliers de personnes en pensent. Qui sont ces influenceurs? Que conseillent-ils aux gens et, surtout, peuvent-ils avoir un impact sur ce que nous mangeons? Bref, quel est le véritable pouvoir des influenceurs sur nos comportements alimentaires?
C’est quoi, un influenceur ?
Un influenceur, c’est une personne qui a acquis une audience importante sur une ou plusieurs plateforme(s) sociale(s), comme YouTube, Facebook, Instagram ou un blogue personnel, et qui utilise son exposition médiatique pour diffuser ses opinions auprès de sa communauté. Il a ainsi le potentiel d’affecter les comportements de consommation du public ou encore leurs perceptions à l’égard d’une marque, d’un produit ou d’un service.
Le phénomène n’est pas nouveau. Les vedettes partagent depuis longtemps leurs opinions sur différents produits, soit à titre de loisir ou en échange d’argent. Le statut d’influenceur s’est toutefois professionnalisé, devenant progressivement un métier. L’influenceur comble son salaire par des partenariats rémunérés avec des entreprises prêtes à investir pour se faire connaître. Ces dernières sont appelées des annonceurs.
Le marketing d’influence tente de convertir les utilisateurs des médias sociaux en consommateurs… Et ça semble plutôt efficace! À preuve, Google annonçait en 2015 une hausse de plus de 5 000 % des recherches reliées à ce terme depuis 2004.
Marketing d’influence : pub cachée ?
En octobre 2016, le Code canadien des normes de la publicité a été actualisé pour tenir compte de cette réalité. Ainsi, il est dorénavant exigé que tout individu faisant la promotion d’un produit ou d’un service indique clairement dans ses publications en ligne la nature du lien avec l’entreprise ou la marque. Si l’individu a été payé ou a reçu le produit gratuitement, il doit le déclarer.
En théorie.
Malheureusement, en pratique, il semble que le contenu publicitaire ne soit pas déclaré dans la grande majorité des cas. Camille Trudelle, une étudiante à la maîtrise en communication de la santé à l’UQAM, a analysé les publications Instagram d’influenceurs qui abordent la saine alimentation. Son constat? Seulement 24 % des publications Instagram contenant un placement de produits alimentaires affichaient qu’il y avait eu rétribution.
Pourtant, plusieurs plateformes ont développé des outils afin de faciliter la transparence des liens entre influenceurs et compagnies. Par exemple, Facebook permet d’indiquer les publications payées par la mention « Commandité » et un tag identifiant le partenaire d’affaire.
Sur Instagram, il est considéré comme acceptable de remercier la marque et d’inscrire des mots-clics comme #publicité ou #partenariat. En juin 2017, l’application a toutefois ajouté la possibilité d’afficher la mention Paid partnership with (« partenariat rémunéré par »).
Sur YouTube, les créateurs peuvent indiquer directement à l’auditoire qu’une vidéo contient une « communication commerciale » dans la section « Déclaration de contenu ».
La publicité alimentaire influence ce que nous mangeons
C’est bien beau tout cela, mais quel est le lien entre les influenceurs et notre alimentation? En fait, on sait depuis longtemps que la publicité alimentaire affecte notre alimentation et que ce sont généralement les produits ultra-transformés, peu nutritifs, qui jouissent des plus gros budgets de pub. Par exemple, entre juin 2015 et mai 2016, deux chercheuses de l’Université d’Ottawa ont étudié la quantité de publicités numériques d’aliments et de boissons à laquelle les enfants (2 à 11 ans) et les jeunes (12 à 17 ans) du Canada étaient exposés chaque année sur leurs 10 sites Web favoris. Selon les résultats de leur recherche, en un an, à l’échelle du pays, les enfants ont vu 25 millions d’annonces et les jeunes, 2,5 millions. Environ 90 % de ce torrent de publicités présentait des aliments à faible valeur nutritive, soit généralement des produits transformés riches en sucre, en gras et en sel.
Des exemples Made in Québec
Je trouvais donc intéressant de dresser un portrait tout à fait non exhaustif des aliments promus par quelques influenceurs québécois connus. Bien qu’ils soient actifs sur une multitude de réseaux sociaux, je me suis attardée aux plateformes YouTube et Instagram.
Entre 2014 et 2016, la YouTubeuse Lysandre Nadeau (313 000 abonnés) a réalisé cinq vidéos en collaboration avec Coca-Cola dans le cadre de sa campagne jeunesse « la Brigade du bonheur ». Dans ceux-ci, elle #PartageUnCoke en retrouvant son amie d’enfance, elle #ÉcouteUnCoke en faisant part de chansons associées à de bons moments de sa vie et #SavoureLinstant en racontant des souvenirs de Noël avec des membres de sa famille… tout ça avec une bouteille de la boisson emblématique à la main.
Au printemps 2017, le YouTubeur PL Cloutier (277 000 abonnés) s’est associé à Takis dans une vidéo où il explique les étapes d’un DIY de burger géant pour accompagner les nouvelles croustilles de la marque.
Environ à la même période, le YouTubeur Jemcee (53 000 abonnés) a publié une vidéo montrant sa démarche pour se faire commanditer par la compagnie de boissons énergisantes Guru, ainsi que la grande quantité de produits gratuits qu’il a reçus dans ce contexte.
En juin 2017, McDonald’s Canada a également joué cette carte en contactant de jeunes créateurs pour annoncer ses produits. Dans un premier temps, sur YouTube, plusieurs d’entre eux, dont Noémie Lacerte (115 000 abonnés), ont participé au lancement des #DéjeunerTouteLaJournée en réalisant une vidéo dans laquelle ils discutent de leur routine matinale tout en mangeant des sandwiches déjeuner Œuf McMuffin.
Dans un deuxième temps, sur Instagram, diverses personnalités populaires, comme Alexandra Larouche (163 000 abonnés) et la blogueuse Chloé Dumont (44 000 abonnés), ont publié des photos les montrant avec des aliments de ce géant de la restauration rapide pour souligner le passage de la caravane McCafé et la Journée de la frite.
Enfin, en juillet 2017, le duo P.O et Marina (60 000 abonnés) a publié une vidéo sur YouTube mettant en vedette les boissons Fruité dans le cadre d’un défi utilisant de grands contenants remplis de dessert de gélatine préparé avec ces boissons.
Les influenceurs : potentiels alliés en santé publique ?
À la lumière de ces exemples, il importe cependant de se rappeler quelques éléments. D’une part, tous les aliments peuvent avoir leur place au sein d’une alimentation équilibrée. Malgré tout, en tant qu’étudiante en nutrition, je trouve dommage que ce soit des aliments ultra-transformés qui bénéficient encore et toujours de ce genre de visibilité. D’autre part, le but n’est absolument pas de blâmer les influenceurs présentés. La pub existe aussi dans les médias traditionnels, elle existera toujours et elle emploie déjà des vedettes pour participer à des campagnes. Le but est simplement de s’intéresser à cette nouvelle forme de publicités employée par l’industrie agroalimentaire.
De plus, ces partenariats représentent souvent une source importante de revenus. C’est leur métier! À chacun d’eux de voir les produits qu’ils désirent mettre en valeur auprès de leur communauté. On n’est pas là pour jouer à la police.
Maintenant que c’est dit et sachant qu’en 2015, des chercheurs ont conclu que le marketing d’influence est plus efficace pour les produits alimentaires que pour tout autre type de produits, pourquoi ne pas se faire alliés de ces influenceurs pour encourager la consommation d’aliments nutritifs? D’ailleurs, au Québec, PL Cloutier, Florence Lavoie (60 000 abonnés) et Elie Duquet (51 000 abonnés) ont déjà réalisé des vidéos de défis mettant à l’honneur des fruits et des légumes, de façon loufoque.
De son côté, Cynthia Marcotte, nutritionniste et YouTubeuse, offre sur sa chaîne une multitude de conseils pour prendre plaisir à manger de façon équilibrée.
Je ne m’attends pas à ce que, soudainement, l’industrie agroalimentaire décide d’investir dans la promotion des aliments frais. Et les influenceurs n’ont pas à se transformer en oeuvres de charité pour promouvoir la saine alimentation. Mais alors, qui le fera? Je rêve probablement en couleurs, mais n’est-ce pas un signal pour que le gouvernement et les organismes de santé publique se mettent au goût du jour et collaborent avec ces influenceurs s’ils désirent réellement améliorer l’alimentation des jeunes? Après tout, s’il y en a qui ont compris comment s’adresser à ce segment de la population, ce sont bien eux.
Bullas, J. 5 Powerful PR Trends You Should Not Ignore. http://www.jeffbullas.com/5-powerful-pr-trends/
eMarketer. (2016). Earned Media Value of US Influencer* Marketing Campaigns, by Advertiser Category, H1 2015 (among RhythmOne clients). http://www.emarketer.com/Chart/Earned-Media-Value-of-US-Influencer-Marketing-Campaigns-by-Advertiser-Category-H1-2015-among-RhythmOne-clients/176154
Google. (2017). Aide YouTube – Règles relatives aux annonces : Placement de produits rémunérés et autres promotions. https://support.google.com/youtube/answer/154235?hl=fr
Facebook. (2017). Branded Content. https://www.facebook.com/facebookmedia/get-started/branded-content
Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada. (2017). Nos enfants sont bombardés. – Comment le marketing de l’industrie des aliments et boissons met en péril la santé de nos enfants et de nos jeunes. https://www.coeuretavc.ca/-/media/pdf-files/iavc/2017-heart-month/coeuretavc-bulletinsante2017fr.ashx
Infopresse. (2016). Les YouTubeurs : la nouvelle mine d’or. http://www.infopresse.com/dossier/2016/1/11/les-youtubers-la-nouvelle-mine-d-or
Normes canadiennes de la publicité. (2016). Code canadien des normes de la publicité. http://www.normespub.com/fr/Standards/canCodeOfAdStandards.pdf
Republik. (2016). Les normes à suivre en marketing d’influence sur Instagram au Canada. https://republik.ca/fr/blogue/detail/les-normes-a-suivre-en-marketing-dinfluence-au-canada/
Saint-Amour Béland, M. (2017). Comment Instagram atteint l’assiette des jeunes. Le Devoir. http://www.ledevoir.com/societe/consommation/499841/comment-instagram-atteint-l-assiette-des-jeunes
Trottier, L. (2017). Influenceurs sur les réseaux sociaux : une pub qui n’est pas toujours déclarée. La Presse. http://affaires.lapresse.ca/economie/marketing-et-publicite/201705/06/01-5095394-influenceurs-sur-les-reseaux-sociaux-une-pub-qui-nest-pas-toujours-declaree.php
Intéressante publication sur le marketing de l’industrie alimentaire et le contenu sponsorisé. C’est de plus en plus évident que les grandes chaînes des restaurants et les principaux producteurs alimentaires utilisent des moyens non conventionnels pour atteindre chacun des consommateurs ciblés. Il faudrait que des regles et controles soient crées pour ce type de publicités afin de protéger les consommateurs.