Vous avez certainement déjà remarqué qu’il y a des produits « pour hommes » ou « pour femmes ». Pensez aux allées des pharmacies remplies de savons et de shampoings qu’on place à des endroits différents selon à qui ils sont destinés. Pourtant, on s’entend qu’un savon peut laver votre corps, peu importe ce qui se trouve entre vos deux jambes. C’est ce qu’on appelle le marketing basé sur le genre ou marketing genré.

De temps en temps, il y a des petites controverses qui naissent quand des compagnies commercialisent des produits genrés. Il y a quelques années, la compagnie Bic s’était faite critiquer pour avoir créé une ligne de crayons « pour femmes ». Malgré tout, le marketing basé sur le genre est omniprésent et on y est tellement habitués qu’on le tolère pas mal.

La différence entre le genre et le sexe

Bon, avant toute chose, je veux simplement éclaircir certains points. Souvent, on parle du genre et du sexe comme si c’était des concepts interchangeables, mais c’est faux. Le sexe, c’est biologique alors que le genre, c’est identitaire et c’est un concept social. Le genre n’est pas défini par les organes génitaux et il peut prendre une diversité énorme de formes.

Il n’y a rien qui est intrinsèquement masculin ou féminin. C’est la façon dont la société le perçoit qui va donner cet attribut et ça peut changer d’une société à l’autre et d’une époque à l’autre. Par exemple, au Québec en 2017, on considère généralement que la jupe est un vêtement « pour femmes », donc féminin. Un homme qui met une jupe risque d’attirer les regards parce qu’il contrevient à ce que la société considère comme « ce qu’un homme doit faire ». Mais en Écosse, un bout de tissu similaire est appelé un kilt et est traditionnellement porté par les hommes. Bon, l’exemple est un peu grossier, mais j’espère que vous comprenez mon point : ça n’existe pas vraiment un objet ou un produit féminin ou masculin. D’ailleurs, on est en 2017, donc j’espère que je n’ai pas besoin de vous expliquer que peu importe la façon dont la personne s’identifie, elle peut bien porter ce qu’elle veut et aimer ce qu’elle veut.

C’est bien beau tout ça, mais c’est quoi le rapport avec l’alimentation ? En fait, on ne s’en rend pas toujours compte, mais les supermarchés sont des lieux qui regorgent de produits dont le marketing est basé sur le genre. Nos perceptions de ce qui est masculin ou féminin se glissent donc jusque dans notre assiette ou notre verre.

Qu’est-ce qu’un homme doit manger ?

Contrairement à un crayon ou à une jupe, les aliments ont un impact direct sur notre santé et notre corps. En plus, le sexe biologique influence la quantité de calories et de nutriments qu’on doit manger. Certains pourraient donc être portés à croire que s’il y a des aliments « pour hommes » ou « pour femmes », c’est que ceux-ci sont développés pour répondre à ces besoins précis.

Ce n’est toutefois pas le cas.

Les différences entre les besoins d’un homme et d’une femme sont vraiment minimes et ils peuvent être comblés très facilement avec de bons vieux aliments ordinaires unisexes.

Ça ne nous empêche toutefois pas, comme société, d’avoir des préjugés sur les aliments et d’en considérer certains comme plus masculins ou féminins. Plusieurs chercheurs se sont d’ailleurs penchés sur la question. Généralement, la viande, la cuisson au barbecue, l’alcool, les aliments gras, le fast-food et les grosses portions sont associés aux hommes. Au contraire, les salades, les fruits, le poisson, les aliments légers (faibles en calories/en gras/en sucre), les produits laitiers et les petites portions sont associés aux femmes.

En se basant notamment sur ces stéréotypes, l’industrie agroalimentaire développe des produits dont le marketing est basé sur le genre. Pour vous illustrer le tout, je suis allé me promener dans un supermarché pour voir de quelle façon ces stéréotypes sont véhiculés.

Le marketing genré à l’épicerie : quelques exemples

Bon, vous me direz peut-être qu’on s’en fout du marketing et que les compagnies peuvent bien vendre leurs produits comme elles le veulent. Après tout, nous sommes libres d’acheter ou pas ces aliments, non ? En fait, la principale problématique avec le marketing basé sur le genre, c’est que l’industrie ne fait que renforcir des stéréotypes nuisibles, comme s’il y avait des façons correctes de s’alimenter selon la façon dont on s’identifie.

Pour les hommes, on trouve beaucoup de produits prêts-à-manger, souvent des marques de restaurants. On voit des allusions au sport. On vend des aliments de style « pub », dont les ingrédients mis de l’avant sont l’alcool (bière, whisky) et la viande. On mise sur les protéines et on parle du côté sauvage/animal. Ça, c’est quand on n’écrit pas directement sur l’emballage : « pour hommes ».

Il est bien démontré que les hommes qui adhèrent le plus à la masculinité « stéréotypée » ont plus de risques d’adopter des comportements dommageables pour leur santé. Pour un homme, se soucier de ce qu’on mange n’est pas très bien vu ni considéré comme viril. En gros, l’industrie envoie le message : « Tu n’as pas besoin de te soucier de ça, toi. Tu peux bien manger n’importe quoi, c’est pas important ! » D’ailleurs, les aliments « pour hommes » sont généralement riches en sel, en gras et en sucre.

Il y a quelques années, des chercheurs ont analysé le contenu du magazine Men’s Health pour voir de quelle façon on abordait l’alimentation. Sans grande surprise, ils ont observé que les articles encourageaient les hommes à manger au restaurant, à boire de la bière et à manger beaucoup de viande. Au contraire, on y présentait le végétarisme et la cuisine à la maison comme étant trop féminins et à éviter.

Pour les femmes, les emballages présentent des couleurs pâles, beaucoup de rose et de mauve. Les produits « pour femmes » misent beaucoup sur les aspects santé et minceur. On écrit des mots comme « léger », « balance », « équilibre », « slim » ou « skinny » et on affiche, sur le devant des produits, les quantités de calories ou de gras quand celles-ci sont faibles.

Ici, on pousse la santé et la minceur au maximum. Comme si les femmes ne subissaient pas déjà suffisamment de pression pour atteindre une image corporelle irréaliste. D’abord, ça entretient et ça encourage cette préoccupation excessive par rapport au poids et aux calories. Ça envoie le message que c’est la norme de surveiller sa ligne quand on est une femme. Mais en plus, ces produits promettent de façon implicite, par des noms ou des mentions qui réfèrent à la minceur, de ne pas être engraissant ou même de faire maigrir. Pourtant, aucun aliment ne détient le pouvoir de faire maigrir.

Honnêtement, à une époque où la notion de genre est en pleine mutation, j’ai de la difficulté à croire qu’on pousse encore ces stéréotypes qui sont dommageables pour la santé de tous. Qu’il y ait des princesses, des ballons de basketball, un cowboy ou des papillons sur un produit alimentaire, s’il y a un message à retenir de tout cela, c’est que peu importe la façon dont vous vous identifiez, vous pouvez manger, ou pas, ce que vous voulez, plutôt que « comme vous devriez le faire selon votre genre ».

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