Si vous étiez sur une île déserte et que vous aviez accès à de l’eau à volonté, ainsi qu’à un aliment, lequel serait le meilleur pour votre santé parmi les suivants : épinards, hot-dog, pousses de luzerne ou chocolat ? C’est la question que j’ai posée aux abonnés de ma page Facebook.


J’ai été inspiré par la lecture d’un article scientifique qui mentionnait une expérience où on avait présenté une prémisse similaire aux participants. Ce sont Paul Rozin, Michele Ashmore et Maureen Markwith de l’Université de Pennsylvanie qui ont questionné près de 200 personnes au début des années 1990 et qui ont publié les résultats en 1996. Vingt ans plus tard, je la trouvais encore fort pertinente.

Voici l’énoncé : « Vous êtes seul sur une île déserte pour un an. Vous avez de l’eau et un autre aliment. Sélectionnez celui qui serait le meilleur pour votre santé, selon vous. (Ne prenez pas en compte vos préférences alimentaires.) Les options étaient les suivantes : maïs, pousses de luzerne, hot-dog, épinards, pêches, bananes et chocolat au lait.

En ordre, les participants ont choisi la banane (42 %), l’épinard (27 %), le maïs (12 %), les pousses de luzerne (7 %), les pêches (5 %), le hot-dog (4 %) et le chocolat (3 %).

Dans ma petite expérience tout à fait non scientifique, où j’ai limité les options aux épinards, au hot-dog, aux pousses de luzerne et au chocolat, les résultats ont été très semblables. Au moment d’écrire ces lignes, il y avait eu 1224 répondants. Sur une île déserte, ils auraient choisi, en ordre, les épinards (33 %), les pousses de luzerne (24 %), le hot-dog (23 %) et le chocolat (18 %).

Survivre en mangeant des feuilles

Je suis désolé de vous l’apprendre, mais presque 3 personnes sur 5 seraient rapidement mortes en essayant de survivre en mangeant des feuilles. Avant de réussir à consommer assez de calories sous forme d’épinards ou de pousses de luzerne, votre estomac aurait sûrement explosé.

Une tasse (250 ml) de luzerne contient 8 calories. Pour une personne avec des besoins « moyens », soit 2000 calories, il faudrait manger 64 litres de luzerne chaque jour. Pour les épinards, la même personne aurait dû mâcher 72 litres de verdure.

Ceux qui ont sélectionné le hot-dog ou le chocolat auraient eu plus de chance puisque ces aliments sont beaucoup plus concentrés en énergie. Le hot-dog, quant à lui, représentait probablement le « meilleur » choix, à cause de son avantageuse teneur en calories et en protéines.

N’oubliez pas : vous êtes en mode « survie » !

Les bons et les mauvais aliments

Vous vous en doutez peut-être, mais ce scénario n’a pas vraiment été développé pour déterminer vos skills de survie. Non, ce que les chercheurs voulaient observer, c’est notre tendance, comme mangeurs, à classer les aliments en deux catégories : les bons et les mauvais.

Pour la plupart d’entre nous, les épinards et la luzerne sont dans notre boîte « bons aliments » alors que le chocolat et le hot-dog sont classés dans les « mauvais aliments ».

J’attribue ce fait, entre autres, à la façon dont on discute de la nutrition dans la sphère publique. On a souvent tendance à tellement vouloir simplifier les concepts qu’on finit par créer des associations trompeuses et nuisibles comme : ça c’est bon / ça ce n’est pas bon.

Cette manière dichotomique de réfléchir aux aliments est aussi à la base de relations troublées avec l’alimentation. Quand on pense de cette façon, on a tendance à être content et fier de nous quand on mange de « bons » aliments, et au contraire, on dit qu’on « triche » ou on se sent coupable quand on consomme les « mauvais ».

Mais la réalité, c’est qu’aucun aliment n’est intrinsèquement bon ou mauvais. Bien sûr, il existe des aliments qui sont plus nutritifs que les autres et qui méritent probablement une place plus grande dans notre alimentation. Mais tout ça dépend du contexte !

Ainsi, cette perception est tellement ancrée en nous que même dans un scénario de survie, la majorité des gens se fient à elle pour choisir l’aliment. Mais ce qui est bon pour vous dans un contexte nord-américain de surabondance alimentaire ne le sera pas nécessairement sur une île déserte.

P.S. Je dois vous avouer que j’ai ri de bon cœur en parcourant les quelques centaines de commentaires laissés sous la publication. Certains d’entre vous ont tenté de creuser le problème de tous les côtés pour arriver à la « bonne » réponse. J’ai particulièrement aimé ceux qui disaient choisir la luzerne pour pouvoir la cultiver. Merci pour votre participation !

Rozin P., Ashmore M. et Markwith M. Lay American Conceptions of Nutrition: Dose Insensitivity, Categorical Thinking, Contagion, and the Monotonic Mind. Health Psychology 1996;15(6):438-447


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