Brillat-Savarin écrivait en 1825, dans son ouvrage Physiologie du goût, la célèbre phrase : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. » Tout le monde a déjà lu ou entendu cette maxime. À peu près n’importe quel auteur ayant jeté son dévolu sur l’alimentation a déjà utilisé, voire abusé, du dicton. (Moi compris!)

Derrière cette phrase reprise ad nauseam, se cache un fait qui m’a toujours fasciné. L’alimentation est liée à l’identité. Ce qu’on décide de mettre en bouche nous définit, et ce, d’une façon aussi importante que la musique qu’on écoute, les vêtements que l’on porte, la langue que l’on parle ou notre origine culturelle.

Jamais dans l’histoire de l’humanité avons-nous eu accès à autant de possibilités alimentaires qu’aujourd’hui. Ce que Brillat-Savarin écrivait de façon si brillante et savante (see what I did there?) au 19e siècle est encore d’actualité aujourd’hui, sinon plus, à cause du monde dans lequel nous vivons.

L’ère des « sans »

Nous sommes présentement dans l’ère alimentaire des « sans » et cette tendance ne semble pas prête de s’essouffler. « Sans gluten », « Sans OGM », « Sans pesticides », « Sans additifs artificiels », « Sans sucre », « Sans gras trans »… Il y a des fois où je me demande comment les fabricants réussissent encore à inscrire le nom de leur produit sur l’emballage au travers de toutes ces absences.

S’il avait publié Physiologie du goût en 2015, Brillat-Savarin aurait peut-être plutôt écrit : « Dis-moi ce que tu ne manges pas, je te dirai ce que tu es ».

Mais d’où vient cette recherche de l’absence, cette idolation des aliments « purs », dans leur plus simple expression? Avons-nous collectivement peur? Peur de quoi, peur de qui?

Dépendants d’une industrie qui cache des choses

Scandale après scandale, la confiance des consommateurs envers l’industrie agroalimentaire ne cesse de s’effriter. Et l’omniprésence des résultats d’études en alimentation qui sont propagés à grands coups de « share » n’est certainement pas étrangère à ce climat de scepticisme. À en croire l’actualité, un jour, un aliment guérit le cancer, le lendemain, il en est la cause.

Dans un monde où les gens cuisinent de moins en moins et doivent se tourner vers des solutions faciles et rapides, les consommateurs sont donc devenus dépendants d’une industrie en laquelle ils ont plus ou moins confiance.

Et la réponse de l’industrie face à ce scepticisme? La transparence.

« Non, non, ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de ces méchants « Insert bad ingredient here » dans notre produit! »

Généralement, le nombre de « sans » retrouvés sur l’emballage est proportionnel au prix. Et les consommateurs qui ont le luxe de choisir ce qu’ils mangent peuvent se permettre d’éviter ce qu’ils considèrent comme mauvais pour eux.

Est-ce acceptable de devoir payer un supplément pour ne pas retrouver certains ingrédients ou contaminants dans notre alimentation?

Un système à deux vitesses qui se met en place

L’an dernier, le magazine TIME demandait à Marion Nestle, professeure de nutrition à l’Université de New York, ses prédictions du futur en alimentation. Elle s’imagine bien un système à deux classes où certains devraient se contenter d’aliments produits de façon économique et dont la production exploiterait les travailleurs et l’environnement et, d’un autre côté, une classe qui pourrait acheter de la viande élevée en pâturage, des œufs bio, faire pousser des légumes dans son jardin… Un système alimentaire à deux vitesses, quoi!

C’est une réalité qui me fait peur.

Heureusement, il y a de l’espoir. Apprendre à cuisiner à nouveau et acheter des aliments de base, c’est la meilleure façon d’être moins dépendants de cette industrie qui doit déployer des moyens immenses pour nous offrir ces « sans » à prix élevé.

Après tout, n’y a-t-il pas d’aliments plus parfaits et « purs » que des fruits ou des légumes, des grains céréaliers entiers, des légumineuses… Les aliments les plus intéressants pour vous et pour la planète sont souvent ceux qui n’ont pas d’emballage pour afficher ces « sans ». Et si tout le monde décidait que ce système à deux vitesses n’avait pas sa place, ces « sans » disparaîtraient peut-être, puisqu’il serait simplement normal qu’une pomme ne contienne rien d’autre… qu’une pomme!


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