
Ce matin, dans La Presse, est publié un article de Marie-Claude Lortie intitulé « Jacynthe et les scientifiques ». Ce dernier parle de la sortie du nouveau livre de Jacynthe René, Délices Détox. Mme Lortie a demandé à plusieurs médecins, scientifiques et nutritionnistes (dont moi) de commenter certaines parties du livre de recettes. Évidemment, dans un article de journal, il n’y a jamais assez de place pour aller au bout de ma pensée. Alors quoi de mieux que cette plateforme pour le faire.
Mon expérience avec VIVE
Avant toute chose, laissez-moi vous raconter une petite histoire…
Pour ceux qui ne le savent pas, j’ai participé à l’émission de Jacynthe, VIVE, lors de la dernière saison. J’y parlais de mon livre « Sauver la planète une bouchée à la fois » et je donnais des trucs pour cuisiner les mauvaises herbes et les parties d’aliments qu’on jette habituellement. Vous pouvez d’ailleurs y trouver une recette de pesto de fanes de carottes.
C’est drôle, parce que cet épisode était justement sous le thème de l’ouverture d’esprit. En nutrition, il m’arrive fréquemment d’entendre des opinions contraires à mes croyances/connaissances. Malheureusement, j’entends trop souvent des collègues qui préfèrent rejeter les opinions contraires aux leurs sans écouter ou creuser davantage. De mon côté, j’ai toujours eu cette tendance à m’entourer de gens qui pensent différemment et avec qui je peux avoir des débats constructifs.
Bref, c’est au printemps dernier que je me suis rendu chez Jacynthe pour le tournage de l’émission où je l’ai rencontrée. Dès les premières minutes, hors d’ondes, elle est entrée dans le vif du sujet et dans les questions épineuses : celles où nos opinions/connaissances diffèrent. Gluten, jus verts, détox… Tout y est passé. Et dans une conversation tout à fait respectueuse, nous avons échangé, et j’ai pu lui expliquer pourquoi je n’adhérais pas à cette mode de détox ou de sans gluten.
Mais j’en suis tout de même ressorti avec une expérience positive, parce que ça fait du bien d’être confronté à des idées différentes et de débattre. Nous avons tous les deux le même but, soit celui d’aider les gens à mieux manger et être en meilleure santé, mais la façon qu’on privilégie n’est pas la même.
La science, ma meilleure amie
Je suis nutritionniste. Je suis un professionnel de la santé. J’ai étudié la science de la santé, au CÉGEP et à l’université, pendant près de 10 ans. Aucun d’entre vous ne sera surpris d’apprendre que j’ai la profonde conviction que la science est notre meilleure alliée quand vient le temps de faire des recommandations alimentaires/médicales.
Or, lorsque Marie-Claude Lortie m’a envoyé une page d’un « livre d’une vedette qui donne des conseils de vie, de nutrition et de santé » pour avoir mes commentaires, je me suis senti interpellé.
Voici la page qui m’a été envoyée. (Oui, j’écris vraiment mal!)
Je vous épargnerai les détails, vous pouvez en lire davantage dans l’article de Marie-Claude Lortie, mais on passe à travers une panoplie de mythes alimentaires que je tente de défaire au quotidien : gluten, détox, combinaisons alimentaires…. Aucun de ces conseils ou de ces théories ne sont appuyés par la communauté médicale. Je ne recommande aucun de ces conseils pour monsieur-madame tout-le-monde.
Oui, le gluten cause problème chez une certaine partie de la population, peut-être 1%, peut-être un peu plus, mais on n’est pas vraiment certain de qui devrait réellement l’éliminer. Chose certaine, il ne faut pas éliminer le gluten sans d’abord passer des tests médicaux pour évaluer ce qui cause problème. On risque souvent de passer à côté du problème réel lorsqu’on s’auto diagnostique.
Oui, mais moi, ça a fonctionné!
Là où tout cela devient plus nébuleux, c’est lorsque des gens témoignent de bienfaits sur leur santé en ayant appliqué tel remède miracle non supporté par la science. Personnellement, je crois beaucoup en l’effet placebo dans plusieurs de ces cas, mais il est tout à fait possible que certains remèdes fonctionnent réellement, même si on n’a rien découvert d’un point de vue scientifique. Après tout, il est utopique de croire que la science sait tout.
Le cas du gluten est particulièrement intéressant. Peut-être que le gluten cause réellement problème, mais la science n’est pas là pour le supporter. Peut-être que dans 10 ans ce sera une autre histoire, mais, comme je le disais d’entrée de jeu, j’ai la profonde conviction qu’on doit se fier à la science puisqu’elle est le meilleur outil qu’on possède, à mon avis, pour découvrir la « vérité ».
Cependant, comme professionnel de la santé, on doit toujours balancer les bénéfices et les risques d’un traitement. Lorsqu’un client/patient vient nous voir, qu’il a un problème qui le fait souffrir depuis de nombreuses années et qu’aucun remède ne l’a aidé, ce n’est peut-être pas grave qu’il décide de tenter ce genre de régimes « miracles ». Tant que nous sommes là pour les épauler et pour s’assurer qu’ils ne causent pas plus de tort que de bien, ce n’est pas la fin du monde. Et si ça marche, même si on ne peut l’expliquer, on est simplement content que quelqu’un se sente bien.
Mais c’est là où mon appui s’arrête. En « one on one », il y a moyen de moyenner, mais faire ce genre de recommandation au public va entièrement contre mes convictions scientifiques.
Et les aliments dans tout ça?
Dans ce débat scientifique, il y a une chose qu’on oublie souvent de mentionner. Si on fait fi des recommandations alimentaires, ce livre, c’est simplement un livre de recettes. Et les recettes, sont-elles bonnes? Sont-elles intéressantes? À mon avis, oui.
Tout le monde sait que la façon dont les Nord-Américains s’alimentent est assez problématique. La montée en flèche des maladies chroniques en est un bon exemple. Aliments transformés, plein de sucre, de gras, de sel, quantités monstrueuses de viande… Il faut changer cela.
L’intérêt pour moi de ce genre de livre de recettes, c’est qu’on part dans un tout autre univers culinaire où les aliments de base sont mis sur un piédestal. Les ingrédients, aliments et techniques culinaires proposés ne peuvent qu’ajouter une diversité alimentaire bénéfique pour la santé. À condition, bien sûr, de ne pas exclure les aliments habituels. J’avais d’ailleurs un peu la même remarque avec le livre de recettes de Crudessence. Même si je n’adhère pas aux principes de base du crudivorisme, je crois que tout le monde gagnerait à inclure des germinations ou des plats crus dans son alimentation de temps en temps. Je déplore seulement que l’on doive toujours apposer des bienfaits aux aliments pour que les gens s’y intéressent. Ne peut-on pas simplement les manger parce qu’ils ont bon goût!?
Est-ce que certains aliments sont intrinsèquement toxiques? Non. Existe-t-il des aliments ou nutriments miracles pour conserver la santé? Non. C’est la diversité alimentaire qui est la clé de la santé, et ça, tout le monde s’entend pour le dire.
Excellent texte Bernard, t’es très fort comme d’habitude. Et les précisions quant à l’article de La Presse étaient vraiment nécessaires.
L’ouverture d’esprit est toujours la bienvenue et il y a effectivement des éléments ici qui méritent d’être discutés davantage avec le public en termes de saine alimentation, particulièrement d’intégrer de nouveaux types d’aliments largement ignorés.
Ce qui m’inquiète surtout, pour ma part, c’est l’impact de ce type de livres sur la culture scientifique du grand public. D’une part, on se plaint que la plupart des Canadiens ne savent pas si la Terre tourne autour du Soleil ou l’inverse. Mais d’autre part, on applaudit des propos qui vont à l’encontre de l’ensemble des connaissances scientifiques actuelles sur des sujets qui nous touchent de bien près au quotidien, dont l’alimentation et le fonctionnement du corps humain.
Plusieurs intervenants dans l’article de La Presse disent que tout ça est « farfelu, mais sans danger ». Je ne suis pas d’accord. Quand on lit que les huiles essentielles améliorent notre fréquence vibratoire (?), ou encore que le corps « met de côté les aliments qu’il ne comprend pas sous forme de débris qui fermement », c’est la littératie scientifique populaire qui mange la claque.
Merci d’intervenir sur des sujets aussi délicats mais surtout hyper importants Bernard.
Olivier
Merci pour ton commentaire Olivier. Je comprends ton avis. C’est important de remettre les pendules à l’heure sur les sujets scientifiques et tu le fais très bien d’ailleurs. Le but, ce n’est pas d’applaudir les propos qui vont à l’encontre des connaissances scientifiques, mais de montrer une ouverture face à ce genre de discours. Quand on est trop négatif ou qu’on rejette totalement ces discours, tous les gens qui suivent ces courants (et ils sont nombreux) préfèrent arrêter de nous écouter parce qu’ils sont trop choqués dans leurs croyances. En montrant une ouverture, je pense qu’on peut avoir un impact positif et amener ces gens à nous écouter aussi.
Je voulais juste vous remercier, Bernard Lavallée et Olivier Bernard, pour le travail de sensibilisation juste, nuancé et/ou humoristique que vous faites à chaque jour, appuyé sur la recherche actuelle. Vous êtes de beaux modèles et aidez sûrement à augmenter la qualité de vie de bien des gens. Je partage vos points de vue. Au plaisir !
Pour ce qui est des effets ressentis, au delà de l’effet placebo, peut-être également que le changement de régime alimentaire a des effets. Passer d’un régime nord-américain traditionnel à un régime varié et riche en fruits et légumes aura sans doute des effets positifs. Le problème est que la personne va se focaliser sur son arrêt du gluten ou autre, se persuadant que c’est la clé de sa réussite.
D’où l’intérêt de prendre du recul, de garder la tête froide et de se renseigner judicieusement.
Merci pour ton blog, toujours aussi intéressant et pertinent.
Absolument d’accord! Très bon point. Merci et bonne journée! 🙂
Excellent billet Bernard! Il est rafraichissant de lire un point de vue nuancé et respectueux sur le sujet. On revient souvent sur le fait que la sensibilité au gluten ne serait pas démontrée chez les populations générales, mais qu’en est-il des individus présentant des conditions chroniques? Est-ce que le sujet a été étudié avec des conditions chroniques de type rhumatologique (arthrite, fibromyalgie) et/ou de fatigue chronique? Qu’en est-il des travaux de Seignalet? Merci!
Oui, il y a des études d’assez bonne qualité qui ont été effectuées dans les 2-3 dernières années chez des gens qui souffraient de problèmes digestifs, qui n’avaient pas de maladie coeliaque, mais qui avaient vu des bénéfices à la suite du retrait du gluten. On donnait à ces gens soit un aliment contenant du gluten, soit sans gluten (mais on ne leur disait pas lequel était lequel) et on regardait s’ils avaient des symptômes. Le problème, c’est que certaines études concluent que oui, des gens sont sensibles au gluten même s’ils n’ont pas la maladie coeliaque, alors que d’autres concluent le contraire, et ce, avec des protocoles similaires. C’est pour ça que c’est encore difficile pour le moment de recommander quoi que ce soit « at large ». Il faut y aller avec du cas par cas. C’est possible de manger sans gluten et que ce soit équilibré, et tant mieux si la personne voit ses symptômes disparaître, mais c’est certain que je recommande d’être suivi avec un/une nutritionniste pour s’assurer qu’on n’a aucune carence.
Merci pour la réponse Bernard, c’est très apprécié! ça confirme mon impression. La santé globale, incluant la qualité de la digestion, est tellement complexe qu’il m’apparait impossible de pointer du doigt certains aliments comme étant responsable des inconforts ou du bien-être. Manger du gluten provenant d’une farine de bonne qualité, dans un plat délicieux, en étant bien entouré et en faisait l’expérience d’émotions positives, c’est loin d’être la même expérience que de manger du gluten provenant d’un aliment hyper raffiné, seul devant un ordinateur, en état de stress. Dans cet ordre d’idées, vive le guide alimentaire brésilien! Santé!
Merci!
J’ai une petite préoccupation moi aussi concernant la culture scientifique populaire, que l’on peut penser transmise via la famille et les amis aussi. J’aime ton approche, j’aime les « attention! » aussi du Pharmachien, vos informations et approches sont importantes dans le contexte actuel de profusion de l’information (et de son accès).
Au plaisir de te lire de nouveau!
Difficile de ne pas sourire en lisant certains passages du livre 🙂
Je pense aussi qu’il faut faire preuve à la fois d’ouverture, de tact, et néanmoins d’une certaine fermeté, et ça fait plaisir de lire des articles comme celui de Marie-Claude Lortie et le tien.
Je travaille auprès de ceux qui sont intolérant ou sensible au gluten. Je dois vous avouer que je suis surpris comment votre article est bien écrit. La plupart du temps, lorsqu’on parle du sg c’est pour le descendre sans même tenir compte de ceux qui sont pris par cette maladie. Je suis gestionnaire d’une page fb de 3200 membres et chaque fois qu’un article sort sur le sg, je le sais. Merci de ne pas oublier ceux qui sont pris avec cette maladie. Et les autres (la mode) je m’en occupe pas. De plus il faut faire attention, un régime Paléo n’est pas un régime sg comme plusieurs pensent. Concernant les ténors du contre le blé(une partie de la mode du sg), il faut connaître l’historique du sg pour voir qui ont des erreurs dans leurs théorie. J’ai retracé l’historique du sg avec un historien américain. Oui disons que j’en connais beaucoup sur le sg. Merci encore
Le gluten est vraiment dans la cible!… Mais qu’en est-il au juste?… Pourquoi l’on nous informe pas davantage?… Y a personne qui se pose des questions à propos du gluten? Voici un clip fait par Bejamin qui nous en apprends sur celui-ci. Bonne réflexion.
https://www.youtube.com/watch?v=leJqWagnTYI
Je crois qu’une partie de la population désire bien manger et avec tout ce que je lis, on se fait plus taper sur la tête quand on propose une recette santé qu’autre chose…bien des enfants commencent la journée avec un bol de frootloop, suivi d’un sandwich au baloney et termine la journée avec une repas remplis d’additifs et de colorants, ne ressemblant en rien à la vrai nourriture.
Si on regarde tous les problèmes de santé de gens qui apparaissent de plus en plus jeune, il me semble que de faire le lien avec ce qu’on consomme est facile (bien d’autre chose aussi;)).
Je crois qu’il y a beaucoup plus de 1% de la population intolérante au gluten, mais la plupart des gens vont se diriger vers des médicaments pour régler leurs troubles, parce que à mon avis , c’est bien plus facile que de bien manger. En ce qui concerne les ogm, le grain de blé a été modifié à maintes reprises et ne ressemble en rien au grain de blé ancien, qui était plus court ect
Pour avoir moi-même coupé le gluten (et les produits laitiers), j’ai vue la différence et je la vois rapidement si jamais je triche (je n’ai pas la maladie cœliaque). Je crois que c’est un sujet souvent rabaissé et qu’il devrait être plus étudié.
J’apporterais un autre aspect important dans votre discussion, la santé mentale. Je crois que le rapport à l’alimentation devient facilement un terrain glissant pour quiconque a des traits plutôt obsessionnels ou une fragilité au niveau de l’estime de soi. Je ne vous apprendrai en vous disant que plusieurs personnes qui débutent un « régime » à l’apparence prometteuse au départ, peuvent d’enfoncer éventuellement dans un trouble alimentaire où s’alimenter depuis plus que complexe…un casse-tête. Ce peut aussi devenir « trop important » dans le sens où cela devient l’unique chose à laquelle la personne d’identifie, allant jusqu’à l’isoler socialement. Comme quoi vouloir trop être en santé n’est pas toujours souhaitable dans la mesure où on avait déjà une alimentation variée et imparfaite, mais correcte, puisque permettant de penser à autre chose qu’à du gluten, des carrés de sucre ou de beurre plutôt qu’à partager une brioche et un café avec un ami au resto spontanément.
Merci Bernard pour ton approche scientifiquement ouverte. Manger des aliments frais constitue pour moi une clef vers la santé. Jacynthe et toi avez dû parlé de l’aspect acidifiant des aliments, une notion à laquelle ne croit pas vraiment la médecine. En tant que naturopathe, je crois que c’est un aspect qui mérite d’être plus étudié. Petite étude: https://www.pressedjuicery.com/learn/ucla-study-abstract
Peut-être que l’avenir apportera plus de réponses!
Bravo pour ta vulgarisation des sujets abordés.