
Autrefois vendues comme des remèdes à toutes sortes de maux, les boissons gazeuses ont réussi à s’implanter partout, à grands coups de marketing axé sur le plaisir instantané. Mais la lune de miel est maintenant terminée pour les fabricants de ces sucres liquides cotés en bourse. Alors que les ventes de boissons gazeuses chutent dans les pays industrialisés, le défi pour ces compagnies est de survivre dans un monde où la santé est devenue très importante aux yeux des consommateurs. Et tous les coups sont permis.
Conquérir le monde en 100 ans
En 1886, John Pemberton, un pharmacien américain, invente le Coca-Cola en réponse à la prohibition de l’alcool dans la ville d’Atlanta. En 1891, « The Coca-Cola Company » est fondée par Asa G. Candler. Il faut attendre à peine deux ans avant que Pepsi-Cola s’invite à la fête et qu’une concurrence éternelle naisse.
En 2012, soit 126 ans après la création des boissons gazeuses, 220 milliards de litres ont été produits mondialement. Suffisamment de liquide pour abreuver chaque terrien de 31 litres cette année-là. Les boissons gazeuses se déclinent désormais en des centaines de variations, dont certaines ne sont vendues qu’en des endroits particuliers. Le Fresca au melon, l’Inca Kola et le Fanta à la fleur de sureau n’en sont que quelques exemples. À chacun sa boisson. Toutefois, c’est encore et toujours la languette d’aluminium de la cannette de Coca-Cola qui craque le plus souvent, loin devant Pepsi, Mountain Dew, Dr Pepper et Sprite.
L’anatomie d’une cannette de cola
Les boissons gazeuses au cola contiennent toutes sensiblement les mêmes ingrédients. En ordre d’importance, du plus au moins abondant, se trouvent l’eau gazéifiée, le sucrose et/ou le sirop de glucose-fructose, le colorant au caramel, l’acide phosphorique, les essences naturelles, et la caféine. La saveur particulière des colas s’explique par le savant mélange des essences naturelles provenant des feuilles de coca, de l’acide citrique, du jus de lime et de la vanille, ainsi que d’extraits d’orange, de citron, de muscade, de cannelle, de coriandre et de néroli. Chaque compagnie possède cependant sa recette secrète qui dicte les proportions exactes.
Le bonheur liquide
Quand Beyoncé s’entraîne seule dans son studio, en préparation de sa prochaine tournée mondiale, rien ne bat le rafraîchissant goût d’une cannette de Pepsi bien froide. C’est du moins ce qu’insinue une publicité pour la compagnie de boissons gazeuses, dévoilée en 2013, accompagnée du slogan « Live for now ». De Michael Jackson à Britney Spears, en passant par Janelle Monae et Madonna, les compagnies de boissons gazeuses s’associent depuis longtemps aux vedettes dans le but de mousser les ventes et de séduire le public.
En 2013, Coca-Cola et Pepsi ont dépensé 5,7 milliards de dollars en publicité, mondialement. C’est que les boissons gazeuses sont inutiles. Elles n’ont comme simple attrait que leur bon goût. Les compagnies dépensent donc des fortunes pour encourager la consommation de leurs produits en les présentant comme du bonheur liquide.
De 2011 à 2015, au Québec, Coca-Cola a déployé annuellement sa « brigade du bonheur » composée de jeunes qui sillonnaient la province en prenant part à des festivals et des événements sportifs et artistiques. Selon l’agence ayant développé la campagne, le but était de « reconquérir une génération que Coca-Cola avait laissé (sic) de côté au cours des 25 dernières années. » En les attirant dès l’adolescence, grâce à des publicités, des concours et des boissons gratuites, l’industrie espère se créer des clients à long terme.
Axer les messages sur le plaisir, la jeunesse et le moment présent est également une façon de masquer le côté sombre des boissons sucrées, dont les conséquences apparaissent généralement plus tard dans la vie.
Une ombre au tableau
C’est au début des années 2000 que la vente de boissons gazeuses a commencé à chuter au Canada. Ces dernières ne sont toutefois qu’un des multiples véhicules à sucre liquide de notre alimentation. Les boissons énergisantes, les boissons pour sportifs, les cocktails de fruits, les thés glacés et les laits aromatisés ont vu leur consommation s’accroître en même temps que les boissons gazeuses perdaient des parts de marché.
Surconsommer ces sucres liquides est associé à des risques plus élevés d’obésité, de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de caries dentaires. Mais que veut dire « surconsommer » ? L’Organisation mondiale de la Santé recommande de ne pas consommer plus de 13 cuillérées à thé de sucres ajoutés par jour. Une seule cannette de boisson gazeuse en contient 10.
Malgré tout, les boissons sucrées restent populaires. Au Canada, elles sont une des sources principales de sucres ajoutés dans l’alimentation des enfants, des adolescents et des adultes. La situation est particulièrement problématique chez les 14 à 18 ans, cibles de la brigade du bonheur, où la consommation s’établit entre 1/3 à ½ litre de boissons sucrées chaque jour !
Répéter, recommencer
Inspirée par l’industrie du tabac qui a fait des pieds et des mains pour protéger ses sucettes à cancer, l’industrie des boissons gazeuses a plus d’un tour dans son sac quand vient le temps de défendre ses produits. Ses stratégies sont bien ficelées, mais après quelques décennies à tenter de faire taire les critiques qui l’accusent d’être responsable de l’épidémie d’obésité, elle semble commencer à s’essouffler. Les messages répétés ad nauseam s’articulent autour de quelques points clés seulement.
Comme première ligne d’attaque, elle aime rappeler que tous les aliments ont leur place dans une alimentation équilibrée. On ne devrait donc interdire aucun aliment puisque le plaisir est important. Si cet argument est techniquement vrai et même généralement supporté par les nutritionnistes, il laisse toutefois de côté une nuance importante : certains aliments méritent une plus grande place que d’autres. La nutritionniste Catherine Lefebvre, auteure du livre Sucre, vérités et conséquences croit plutôt qu’il est « absolument nécessaire de couper à coups de hache dans les boissons sucrées. Elles sont si concentrées en sucres, que c’est définitivement le moyen le plus efficace d’en réduire considérablement notre apport. »
La deuxième attaque porte sur le métabolisme et les calories. Selon cette industrie, le poids n’est qu’un résultat des calories ingérées et des calories brûlées, qu’elles proviennent des boissons gazeuses ou des légumes. Ainsi, tous les aliments sont à blâmer, pas seulement les boissons gazeuses. Un porte-parole de l’Association canadienne des boissons affirmait même dans le Journal de Montréal, en février 2016, que si on écrivait un avertissement sur les boissons gazeuses concernant leur lien avec l’obésité, on pourrait tout autant l’inscrire sur les sacs de carottes…
S’acheter de la crédibilité
L’industrie aime s’entourer de scientifiques pour crédibiliser ses messages. En 2013, une étude indépendante concluait d’ailleurs que les études financées par l’industrie des boissons sucrées ont cinq fois plus de risques d’affirmer qu’il n’y a pas d’association claire entre la consommation de boissons sucrées et l’obésité, comparativement aux études indépendantes. Un simple hasard ? Dur à croire. Cet exemple n’est qu’une des multiples manifestations de l’influence de l’industrie des boissons gazeuses sur la recherche en nutrition.
En 2015, le Global Energy Balance Network, un groupe de scientifiques impliqués dans le domaine de l’obésité, voit le jour. Selon les chercheurs, il est possible de consommer autant de calories que l’on veut, tant qu’une augmentation de l’activité physique suit cette consommation. Bref, inutile de se soucier de ce que l’on mange, l’important est de bouger. Un message qui fait bien plaisir aux fabricants de sucres liquides. Bien que le site de l’organisme ne mentionnait pas ses commanditaires lors de sa publication, il fut rapidement découvert que Coca-Cola avait offert plus d’un million de dollars à ces scientifiques. Quelques mois après cette controverse, le groupe annonçait l’arrêt immédiat de ses activités.
Combattre les initiatives de santé publique
Sous le poids écrasant des études indépendantes associant la consommation des boissons sucrées à divers problèmes de santé, des initiatives naissent, un peu partout dans le monde, afin de contrer la consommation habituelle de ces sucres liquides. Parmi les plus populaires se trouve l’instauration d’une taxe, comme il est courant de le faire avec les cigarettes. À peine un an après son instauration en 2014 à Mexico, une taxe de 10 % du prix sur les boissons sucrées a permis d’en réduire de 6 % la consommation.
Aux États-Unis, la ville de Berkeley en Californie a été la première à instaurer une taxe sur les boissons sucrées. Cette victoire contre l’industrie des boissons gazeuses relève du miracle, surtout quand on sait que l’American Beverage Association a dépensé 2,4 millions de dollars pour tenter de combattre cette taxe. En 6 ans, elle aurait investi plus de 114 millions de dollars dans le but de contrer toutes les initiatives tentant de diminuer la consommation de leur précieux bonheur liquide.
Ainsi, malgré ses slogans accrocheurs, répandre le bonheur auprès de ses consommateurs ne me semble pas la véritable priorité de l’industrie des boissons gazeuses. Ces sommes astronomiques investies en recherche et en combats contre la santé publique en sont la preuve. Non, il semble assez clair que ce n’est pas le bonheur de leurs consommateurs qui les intéresse le plus, mais bien celui de leurs investisseurs.
Bes-Rastrollo M., Schulze M. B., Ruiz-Canela M. et coll. Financial Conflicts of Interest and Reporting Bias Regarding the Association between Sugar-Sweetened Beverages and Weight Gain: A Systematic Review of Systematic Reviews. PLoS Medecine 2013;10(12):e1001578
Coalition Poids. Sucre liquide – PAS tous les jours. http://sucreliquide.com/ (Page consultée le 1er août 2016)
Crédit Suisse (2013) Sugar – Consumption at a crossroads
Lefebvre C. (2016) Sucre, vérités et conséquences. Montréal : Édito
Nestle, Marion (2015) Soda Politics – Taking on big soda (and winning). New York : Oxford University Press.
Texte très intéressant! Qu’en est-il des boissons gazeuses diètes? Il semblerait qu’elles soient encore plus nocives que les boissons sucrées régulières… Pourquoi exactement?
Bonjour,
Cet article devrait peut-être vous donner une partie de la réponse. Surtout dans la conclusion.
//nutritionnisteurbain.ca/science/les-edulcorants-artificiels-lies-au-diabete/
Bonne journée,
Article fort pertinent. Je viens de voir deux films très intéressants sur le sujet : Sugar Coated et Fed Up, qui font le lien entre la sur-consommation de sucre (notamment attribuable aux boissons gazeuses) et beaucoup des problèmes de santé modernes : obésité infantile, diabète de type 2, certains types de cancer. C’est une situation alarmante qu’on ne peut se permettre de prendre à la légère.
Que peut-on boire à part eau, lait, tisane/thé qui n’est pas nocif pour la santé ? Même les jus de fruits 100% ne semblent plus recommandés…
Bonjour,
Cet article sur les boissons hydratantes devrait répondre à votre question.
https://nutritionnisteurbain.ca/infographiques/9-boissons-shydrater-nutritionniste/
Bonne journée,