Si vous vous intéressez un tant soit peu à la nutrition, vous avez probablement déjà entendu dire que les protéines végétales étaient incomplètes et qu’on devait les combiner. Ce terme laisse sous-entendre qu’il leur manque quelque chose. Et c’est vrai. Mais après mûre réflexion, je crois qu’il serait peut-être temps d’arrêter de les qualifier ainsi d’emblée.

Acides aminés : matière première des protéines

Pour bien comprendre, commençons par un petit cours de chimie organique.

Les protéines sont constituées d’acides aminés. En assemblant différents acides aminés, on peut créer un grand nombre de protéines aux fonctions diverses. Certaines d’entre elles peuvent être fabriquées à partir de plus de 300 acides aminés reliés entre eux.

Il existe 20 acides aminés, dont 9 que notre corps n’est pas capable de fabriquer. Ces derniers sont appelés les acides aminés essentiels. On doit nécessairement en manger pour répondre aux besoins de notre organisme.

Les protéines animales contiennent tous les acides aminés essentiels dans les bonnes proportions pour répondre aux besoins du corps humain.* Pour cette raison, elles sont appelées des protéines complètes. À l’inverse, les protéines végétales sont qualifiées d’incomplètes parce qu’elles manquent généralement d’un ou de plusieurs acides aminés essentiels.

En grande majorité, les protéines sont détruites lors de la digestion. On s’entend qu’une protéine de brocoli n’est pas constituée pour travailler dans un estomac humain. Notre organisme récupère ainsi les acides aminés et il les utilise entre autres pour créer de nouvelles protéines qui, elles, pourront jouer différents rôles. Par exemple, celles-ci forment la base de nos muscles, de nos organes, de notre peau, de notre hémoglobine, de milliers d’enzymes et bien plus encore.

La combinaison des protéines végétales

En 1971, l’auteure Frances Moore Lappé a publié le bestseller Diet for a small planet, qui s’intéressait à l’impact environnemental de l’alimentation. Elle ne se doutait probablement pas à l’époque qu’elle deviendrait ainsi la source d’un mythe alimentaire qui perdure encore près de 50 ans plus tard.

Sans surprise pour ceux qui ont lu Sauver la planète une bouchée à la fois, quand on s’intéresse à l’impact de notre alimentation sur l’environnement, il est impossible de passer sous silence l’importance de se tourner vers les protéines végétales. Produire des légumineuses demande beaucoup moins de ressources que de produire de la viande. C’est donc ce que recommandait Mme Lappé dans son ouvrage. Or, comme les protéines végétales sont « incomplètes », elle s’inquiétait que les gens manquent de certains acides aminés. C’est à la lumière de ce fait qu’est né le mythe de la combinaison des protéines.

Les différentes sources de protéines végétales ne manquent pas des mêmes acides aminés. Par exemple, dans les céréales comme le blé, c’est la lysine qui manque. Dans les légumineuses, c’est plutôt la méthionine. Selon le mythe, pour s’assurer de ne manquer d’aucun acide aminé essentiel, les végétariens devraient s’assurer de combiner différentes sources de protéines végétales. Par exemple, on pourrait se cuisiner un repas de riz et de haricots rouges. À l’origine, on recommandait ainsi de combiner les aliments au même repas. Cela paraît logique comme conseil, mais ce n’est pas parce que quelque chose semble logique que c’est nécessairement vrai.

Quand je suis entré en nutrition à l’université, en 2007, cette recommandation était déjà considérée comme désuète. Désormais, on considère qu’il suffit de combiner les protéines végétales tout au long de la journée, plutôt qu’au même repas, pour que notre corps ait accès aux acides aminés essentiels dans les bonnes proportions. Vous retrouverez ainsi cette recommandation dans à peu près n’importe quel livre ou article qui traite du sujet.**

Donc, oui, notre corps a besoin de différentes sources de protéines végétales. Mais le fait de toujours répéter d’emblée qu’il est nécessaire de combiner les aliments au sein d’une même journée donne l’impression que pour manger végé, il faut calculer, mesurer, planifier et être pas mal à son affaire. Le problème, c’est que lorsqu’on parle de cette complémentarité des protéines, on laisse généralement de côté un tout petit détail qui, à mon avis, rend cette recommandation tout simplement superflue.

On combine déjà les protéines sans le savoir

Que vous soyez végétarien, végétalien ou omnivore, si vous êtes un humain moyen qui vit dans un pays industrialisé, vous mangez plus d’un aliment par jour. Cela veut donc dire que vous combinez déjà différentes sources de protéines, sans même avoir à y penser. D’ailleurs, si vous êtes du type à manger uniquement des pois chiches en conserve matin, midi et soir, vous avez probablement d’autres problématiques alimentaires plus sérieuses à évaluer avant votre apport en acides aminés.

Dans le cas des végétaliens, qui ne mangent que des végétaux, il ne faut pas oublier qu’on retrouve aussi des protéines dans les fruits, les légumes et les grains céréaliers. C’est certain qu’ils en contiennent beaucoup moins que les légumineuses, le tofu, les noix ou les graines, – qu’on devrait intégrer dans chaque repas si on ne mange pas de sources de protéines animales – mais leurs acides aminés participent aussi à fournir à votre corps ce qu’il ne trouve pas ailleurs.

L’an dernier, l’Academy of Nutrition and Dietetics, une association américaine de nutritionnistes, a émis une prise de position dans laquelle elle affirmait que de continuer à utiliser les termes « protéines complètes » et « protéines incomplètes » était tout simplement trompeur pour les consommateurs puisqu’il est facile de trouver tous les acides aminés essentiels dans les aliments végétaux tant que l’on consomme assez de calories.

Dans un contexte socioéconomique différent, cette recommandation peut être nécessaire. Quand on se retrouve confronté à des gens qui n’ont pas suffisamment à manger, s’assurer de combler les carences s’avère essentiel. Mais dans le contexte d’un pays industrialisé comme le nôtre, où, par exemple, 97% des gens mangent suffisamment de protéines, énoncer cette recommandation d’emblée m’apparaît comme superflu et ne fait qu’entretenir le mythe que se nourrir de végétaux est risqué et compliqué.

Notes

*Sauf la gélatine, donc oubliez le jello pour remplacer votre steak!

**Vous retrouverez cette recommandation dans Sauver la planète une bouchée à la fois. Ça m’aura pris deux ans de réflexions pour en arriver à cette nouvelle conclusion.

Academy of Nutrition and Dietetics. Position of the Academy of Nutrition and Dietetics: Vegetarian Diets. Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics 2016;116:1970-1980

Bélanger M., LeBlanc M.-J. et Dubost M. (2015) La nutrition. 4e édition. Chenelière éducation

Institut National de Santé Publique du Québec. (2009) La consommation alimentaire et les apports nutritionnels des adultes québécois.


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